Si le principal médium de Matthew Lutz-Kinoy est la peinture, elle se développe souvent au-delà de l’espace en deux dimensions pour s’étendre à son environnement, se transformer en décor ou en pièces de mobilier. Cette expansion de l’espace pictural s’exprime autant au travers du choix des sujets, que de l’agrandissement et la répétition de motifs stylisés. Ses peintures de très grands formats, souvent installées comme des tapisseries ornementales, des panneaux muraux ou des plafonds suspendus, scénographient l’espace d’exposition dans lequel le spectateur est physiquement immergé. Cette approche très spatiale et physique de la peinture traduit le rapport privilégié qu’entretient Lutz-Kinoy avec le corps, la gestuelle et explicite l’élargissement de son travail à la danse et la performance. À l’occasion de son exposition récente au Consortium, Dijon, un vaste dispositif de peintures murales inspirées des panneaux de François Boucher, qui habillaient les murs d’un boudoir aujourd’hui installés à la Frick Collection de New York, recouvraient la totalité des murs de ce white cube. La fascination pour cette peinture raffinée, sophistiquée et charnelle du XVIIIe siècle convoquait son caractère érotique et transgressif et invitait en arrière fond à une libération sensuelle et sexuelle.
Si la légèreté des œuvres de Lutz-Kinoy flirte avec le décoratif et s’éloigne d’une notion appuyée du style et d’une « patte », elles s’associent davantage à des traditions rythmées par des règles stylistiques et un vocabulaire préétabli : la calligraphie, le théâtre et la céramique japonaise, le rococo, les corps de François Boucher, Jean Cocteau ou Balthus. Ces variations, quasi tombées dans le domaine public par leur fantaisie et leur accessibilité, déplacées dans un espace désacralisé et démocratisé où le goût et sa modernité ont été susceptibles de porter des signes d’émancipation, rejoignent en quelque sorte l’art de Lutz-Kinoy, qui fusionne la fluidité du geste à la liberté des sujets. Il opère aussi une dé-hiérarchisation des références et des techniques, mêlant peinture acrylique, sérigraphie, teinture et pochoir, ou encore en développant une production artisanale qui retrouve le fait main et les objets du quotidien : céramiques ou tissus imprimés. Dans ce même mouvement, il ose inclure des motifs floraux, des corps déliés, dénudés, des courbes étirées, des plantes ou des animaux en gros plan. Cette fluidité décomplexée, ses associations libres, ses imbrications multiples dans un espace de création décloisonné traduisent une influence des pratiques du sampling et peut-être plus largement une vision holistique du monde qui l’entoure.
Le geste de Matthew Lutz-Kinoy entremêle des corps sensuels à des ornements décoratifs, déliés, récurrents, inspirés du végétal, du style nouille, de l’Art Nouveau. Ce traitement pictural, calligraphique, inspire toute l’exposition The Meadow du CEC et plus particulièrement le projet d’édition de lithographies en cours de réalisation, qui sera présenté début décembre. Lutz-Kinoy se réfère pour ce projet à des livres illustrés par Pablo Picasso, Max Ernst ou encore Francis Picabia, qui entremêlaient textes et dessins, sans hiérarchie. Les motifs de Lutz-Kinoy n’illustrent pas directement les textes mais composent un jeu graphique et poétique qui les encadrent, les dissimulent, les effacent partiellement ou même les maculent. Le texte est déconstruit comme autant de signes formant des planches abstraites où le texte et le dessin se fondent l’un dans l’autre, plus rythmés et sonores qu’illustratifs.
Matthew Lutz-Kinoy a invité pour son édition, Scrolls in the Wind, Harry Burke, Cyrus Grace Dunham, Sharon Hayes, James English Leary, Sophy Naess, Amy Sillman et Emily Sundblad, des amis écrivains, critiques ou artistes, à lui proposer textes ou poèmes et à former avec eux des duos inspirés par le même esprit progressiste, qui se situent souvent au delà du contexte de l’art. Cette communauté amicale, intellectuelle, politique et artistique interroge de nouvelles formes de tolérance, d’engagement et de contestation. Elle entend casser les codes établis et les anciennes frontières entre les arts, les catégories sociales, politiques et de genres. Hors de toutes hiérarchisations et exclusions, plutôt inclusifs et tolérants, la fluidité entre les expressions artistiques est préférée et se développe vers une ouverture aux identités multiples ; transgenres, LGBTQA+, non-binaires.
Matthew Lutz-Kinoy
Scrolls in the Wind
A collection of scripts and poems by Harry Burke, Cyrus Grace Dunham, Sharon Hayes, James English Leary, Sophy Naess, Amy Sillman and Emily Sundblad. Edited by Matthew Lutz-Kinoy
Édition composée de 12 lithographies, couleurs, sur papier BFK Rives 250 g/m2, 42 × 29,7 cm, glissées dans une fourre en papier BFK Rives 300g/m2, l’ensemble réuni dans une boîte recouverte de papier Wibalin Natural Burnt Orange 115g/m2.
Édition tirée à 15 exemplaires dont 3 e.a. et 2 H.C., chaque lithographie est numérotée de 1 à 12 et signée, l’édition est numérotée de 1/15 à 15/15, e.a .1, e.a. 2, e.a. 3 et H.C. I, H.C. II, datée et signée par l’artiste sur le colophon. Impression: Idem, Paris. Production de la boîte: Cartonnages Delavy, Lausanne. Édition du Centre d’édition contemporaine, Genève, 2018.