Pour son exposition au CEC, David Maljkovic a réalisé, en collaboration avec le designer allemand Konstantin Grcic, une série de travaux intitulée Negatives, qui a vu le jour en 2011 avec son exposition Temporary Projections. Pour ce projet, l’artiste avait créé un atelier fictif, visible de l’extérieur et sous la forme d’une projection, à l’intérieur était installée entre autres éléments, une « fausse » table de travail. A l’occasion de cette collaboration avec Grcic, cette table se transforme en un objet « réel ». Ce qui n’était que périphérique devient un point central du travail. Negatives réunit plusieurs tables conçues par Grcic, que Maljkovic va « utiliser » comme des surfaces de travail, en y découpant du papier à l’aide d’une lame, il laissera des entailles sur la surface tendre des plateaux de table. Il en résulte tout un réseau de lignes qui s’entrecroisent et créent une abstraction géométrique. Selon un procédé simple d’impression : un papier est posé sur cette surface enduite d’une encre rouge, une fois le papier retiré, seules restent des traces résiduelles rouge vif. Ce « négatif » offre un espace au processus d’édition.
Le travail de David Maljkovic témoigne d’une conscience formelle très poussée. Quel que soit le récit ou le thème qui génère un nouveau projet, le résultat ne se borne pas à la retranscription, ni à la description de cette narration, mais la redéfinit ou la commente avec assez de distanciation pour produire de nouveaux développements sémantiques. Son travail investit l’écart entre la forme et le contenu, le signifiant et le signifié et cette recherche constitue la clé de son procédé artistique. Dans ces interstices, Maljkovic révèle l’érosion de la mémoire et le détournement de l’information, confrontant le visiteur à la perte de sens et au déséquilibre de notre perception au travers de l’usure du temps et des effets de la technologie. En réponse à cette mémoire déficiente, Maljkovic a adopté la pratique du collage comme principe formel, en combinant photographies, films, images projetées et pièces sonores issus de ses archives personnelles. Il utilise une démarche de dislocation, soustraction, juxtaposition pour aller vers de nouveaux modèles conceptuels.
Negatives est le résultat d’une étroite collaboration entre le designer Konstantin Grcic et David Maljkovic. Ces tables oscillent entre leur fonction habituelle et la sculpture, entre le multiple et l’objet unique, dans une collaboration où l’un crée le support d’une œuvre et l’autre offre un glissement du design vers l’art.
Pour cette collaboration à « deux têtes », la production de l’artiste et celle du designer s’entremêlent. D’un côté, David Maljkovic est passionné d’architecture et de design. Il y puise les références qui forment le corps central de son travail. De l’autre, certaines réalisations récentes de Konstantin Grcic entretiennent un rapport esthétique avec des œuvres de Jeff Koons, James Turrell ou encore Larry Bell. Le point de rencontre entre Maljkovic et Grcic se situe probablement autour de leur même intérêt pour le design industriel et plus particulièrement pour le monde de l’automobile. On retrouve cette fascination dans le film de Maljkovic Out of Projection (2009) réalisé sur les rampes d’essais des usines Peugeot de Sochaux, où l’on découvre d’anciens prototypes de bolides aérodynamiques et totalement rétro-futuristes. Pour Grcic, ce même goût pour les automobiles c’est franchement exprimé dans sa collection de tables Champions(2011) dont le profil des pieds et de la structure de soutien du plateau est dessiné comme des « spoliers » de voiture de course ou des fuselages de motos, laqués dans des couleurs vives et customisés de logos inspirés des équipements sportifs, du sport automobile, du ski ou des bikers.
Cette approche très physique et mécanique vient peut-être de la première formation de Konstantin Grcic, l’ébénisterie, mais aussi de l’influence du design « for real life » de Jasper Morrison, l’un de ses mentors, et de cette autre figure de référence, Vico Magistretti, travaillant des formes plus géométriques et industrielles. Le design de Grcic se caractérise le plus souvent par des structures acérées, efficaces, mécaniques, hi-tech. Une de ses plus récentes séries Man Machine (2014), une ligne en verre, silicone et pistons, fait référence à l’album éponyme et électronique de Kraftwerk. Certains de ses objets se rapprochent du mécano, de la robotique, sorte de « machines célibataires », Grcic engageant des recherches très pointues sur la qualité des matériaux, les nouvelles technologies et les processus de production. Radicalement fonctionnels, ses inventions sont aussi multifonctionnelles et parfois narratives, humoristiques même ou quasi délirantes, comme ce pavillon pour le stand Audi de la foire Design Miami/Basel 2014, construit avec des portes d’Audi TT, qui oscille entre la cabane et le vaisseau spatial. Grcic détourne là avec cocasserie des éléments d’une voiture de luxe pour construire une structure éphémère, composite, dans un esprit parfaitement DIY ou encore ce « Toy Poodle », Paramount (2012), un jouet pour chien à réaliser soi-même et édité par Architecture for Dogs. Cette « coiffeuse de star » pour caniche, est en réalité un « Mirror Test » ; un test qui permettrait de vérifier si le caniche fait partie des animaux capables de se reconnaître dans un miroir. En quelque sorte Konstantin Grcic réalise un design pour tous.
David Maljkovic expose également chez Blondeau & Cie, 5 rue de la Muse, 1205 Genève
David Maljkovic
New Collection
20 mars — 9 mai 2015