Exposition

John Armleder
ENCORE TROP

Du 15 mars au 3 mai 2024
Vernissage, jeudi 14 mars 2024, de 18h à 21h (Nuit des Bains)
John Armleder, ENCORE TROP, peigne gravé en acier inoxidable, 21 x 2,9 x 0,1 cm multiple de 10,édition du Centre d'édition contemporain, 2024 © John Armleder
John Armleder,
ENCORE TROP, peigne gravé en acier inoxidable, 21 x 2,9 x 0,1 cm, multiple de 10, édition du Centre d’édition contemporain, 2024 © John Armleder

Quelques monotypes, deux sérigraphies et un multiple


Avant d’essayer de percer la ou les significations que cache le titre de cette exposition ENCORE TROP, retrouvons deux ou trois citations de John Armleder trouvées dans le catalogue récent d’une exposition collective dont il a été le concepteur, It Never Ends, John M. Armleder & Guests, (Kanal – Centre Pompidou, Bruxelles, septembre 2020). Du titre de cette exposition personnelle et de cette collective, nous pouvons en déduire une perception du temps et de l’espace qui se distancie du définitif. Armleder laisse les propositions, les circonstances et le contexte influencer ses choix : « Je travaille toujours en fonction de la logique de l’endroit et des personnes qui m’invitent […] »1 Nous retrouvons ici une philosophie très seventies, horizontale, de la délégation, où l’existence même de l’œuvre serait partagée entre tous, dans une interaction sans limite et ouverte, qui considère que les modalités de production, les espaces d’exposition et finalement le spectateur font entièrement partie du processus de création. Dans le même catalogue, cette phrase choisie comme titre d’une exposition au Museion de Bolzano en 2018 : « Plus ça change, plus c’est la même chose. »2

Un constat qui fait parfaitement écho aux circonstances de l’exposition ENCORE TROP, au CEC, après notre première collaboration il y a plus de 30 ans, en 1992. À l’époque, nous avions édité une série de 21 gravures (eaux-fortes et monotypes), toutes uniques, qui proposait une déclinaison de plusieurs types d’impressions : surface monochrome, résultat de l’encrage d’une plaque sablée industriellement, drippings d’acide qui, encrés, se transformaient en coulures colorées et imprimées, ou plus simplement des colifichets ou des paillettes étaient directement jetés sur la plaque avant d’être écrasés et pris dans le papier sous la pression du rouleau de la presse. Commentaire de l’époque : « La gravure offre à John Armleder la liberté d’utiliser plusieurs fois les mêmes « motifs » sans n’avoir rien à faire – ou presque. À l’inverse de la pratique classique qui permet, grâce à une plaque, de reproduire la même gravure à plusieurs exemplaires, John Armleder part de quatre matrices traitées différemment afin d’obtenir un ensemble de gravures toutes dissemblables. Il peut ainsi choisir diverses combinaisons – superpositions, renversements, encrages de couleur. Aucun système n’est préétabliles décisions se prennent en fonction des circonstances, des défauts et des réussites de chaque tirage. John Armleder retrouve cette liberté de choix où il peut osciller entre gravure et effets picturaux, entre abstraction libre et géométrie, entre nécessaire et relatif, entre style et non-style, entre autocritique et distanciation. »3

Oui, tout change et rien ne change. Les monotypes présentés aujourd’hui au CEC rappellent ceux produits et exposés en 1992 : monotypes, pièces uniques, déclinées en série, où tout est conservé, tel quel. Dans la série Shady place for sunny people (2024), trois grandes feuilles présentent des coulures et quatre autres, presque totalement blanches, sont en réalité les papiers de protection, marqués uniquement par des marques résiduelles de couleur, suite à la pression d’un système de poids qui a permis, pour les premiers, le transfert de masses d’encres, pour les seconds, les traces de leurs débordements. Ces simples taches font aussi écho aux « splashes », motifs stylisés, récurrents dans l’œuvre d’Armleder, ici sérigraphiés, dorés ou argentés, sur deux jeux de feuilles, roses ou jaunes, marouflées sur un cartonnage, récupérées d’une édition produite en 1979, un leporello, Lézards Sauvages IIa/ « égouttés ». Sur chaque volet de ce dépliant était reproduit et imprimé un peigne, entier ou cassé, trouvé dans les rues de Genève. Cette récolte offrait à Armleder la désinvolture d’une promenade et la récupération d’un objet déjà existant : une performance, le temps de ses déplacements, et une forme toute faite, une grille, abstraite, aléatoire et sans sélection, qui permettait la série.

Cette nouvelle édition garde le même titre, en poursuivant la numérotation commencée en 1979, Lézards Sauvages III et IV, (1979) 2024. La récupération d’un matériel vieux de plus de 40 ans, 1979/2024, suggère un écrasement du temps, entre nostalgie et nouveauté. Un cycle de création, en continu, entre récupération et autocitation, qui échappe à la linéarité et à la finalité de la rétrospective, brouillant les pistes de la datation, de l’archivage et de la conservation, préférant « le point-virgule, la virgule au point. »4

Quant à la métaphore du peigne, au-delà du ready-made de Duchamp ou de la tresse iconique d’Armleder portée de manière immuable et sans pause, nous pourrions repenser ici à la notion d’écart, entre les dents du peigne, entre les cheveux séparés, regroupés, mis en forme, comme une philosophie de l’écart et du pas de côté, chère au collectif d’artistes Ecart, fondé dans les années 1970, par Armleder et deux amis, Claude Rychner et Patrick Lucchini. Mais aussi imaginer le peigne comme un pinceau simplifié, l’un et l’autre « peignent ». Peindre, mais pas vraiment. Peindre comme peigner, un geste distancé, ironique, loin de l’expression et du pathos, une forme de peinture mécanisée, préférant l’aléatoire du dripping et la mécanique du transfert. Sans aller plus loin dans la recherche de métaphores, artistiques ou linguistiques, Armleder lui-même préfère rester loin du texte et de l’analyse : « Dans mon travail, je suis plutôt pour l’évacuation du texte et des contraintes de compréhension. »5

Pour Armleder, il y a un rapport d’équivalence entre la récolte de peignes, cette action et l’édition du leporello de 1979, puisque les feuilles non-utilisées et récupérées de ce leporello forment le fond de nos deux sérigraphies, Lézards Sauvages III et IV, (1979) 2024. À ces trois étapes, Armleder en ajoute encore une : l’édition d’un multiple, un peigne gravé, encore un peigne, ENCORE TROP, comme un retour à l’objet réel, puisque pour lui : « Il n’y a pas d’écart entre l’art et tout autre objet, […] », mais il poursuit : « […] l’art n’est pas singulier, il ne sert absolument à rien, l’art est seulement inévitable. »6

Si dans l’œuvre d’Armleder tout semble venir de l’environnement personnel et artistique, ou encore de son passé, d’archives ou d’un motif déjà existant, souvent décliné en série, et si tout semble venir à lui avec une facilité déconcertante, comme l’indique le nom du groupe d’artistes de sa jeunesse, il gère les écarts, pour garder la bonne distance et un esprit toujours en éveil, critique et amusé, une manière de préserver un espace de liberté. L’écart ou l’esquive, comme un sport, un jeu ou un réflexe, tirent du contexte, des expositions ou du marché, un décalage continuellement rejoué : une philosophie, une attitude, un art.Si dans l’œuvre d’Armleder tout semble venir de l’environnement personnel et artistique, ou encore de son passé, d’archives ou d’un motif déjà existant, souvent décliné en série, et si tout semble venir à lui avec une facilité déconcertante, comme l’indique le nom du groupe d’artistes de sa jeunesse, il gère les écarts, pour garder la bonne distance et un esprit toujours en éveil, critique et amusé, une manière de préserver un espace de liberté. L’écart ou l’esquive, comme un sport, un jeu ou un réflexe, tirent du contexte, des expositions ou du marché, un décalage continuellement rejoué : une philosophie, une attitude, un art.

Véronique Bacchetta, mars 2024

John Armleder est né à Genève en 1948, où il vit et travaille. Son travail a été présenté dans le cadre de nombreuses expositions personnelles, comme : On ne fait pas ça, Massimo de Carlo Milan (2024) ;Experiences, Kunsthalle Marcel Duchamp, Cully (2023), Pour la planète, Palais Galerie, Neuchâtel (2023), Yakety Yak, Mrac Occitanie, Sérignan (2023) ; Again, Just Again, Rockbound Art Museum, Shanghai (2021) ; « It never ends », Carte Blanche to John M Armleder, KANAL, Centre Pompidou, Bruxelles (2020) ; CA.CA., Schirn Kunsthalle, Frankfurt (2019) ; Spoons, moons and masks, Aspen Art Museum, Aspen (2019), Quicksand II, MAMCO, Genève (2019) ; 360°, MADRE – Museo d’Arte Contemporanea Donnaregina, Naples (2018) ; Plus ça change, plus c’est la même chose, Museion, Bolzano (2018) ; Stockage, Instituto Svizzero di Roma (2017) ; À Rebours, La Salle de Bains, Lyon (2017).
Son travail a également fait partie de nombreuses expositions collectives, notamment : Monotypes, Edition VFO, Kunsthalle Zürich, Zurich (2023) ; &, MAMCO, Genève (2022) ; Stop Painting, Fondazione Prada, Milan (2021) ; Ecart at Art Basel, MAMCO, Genève (2019) ; Medusa – Jewellery and Taboos, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Paris (2017).
En 2024, le travail de John Armleder fera l’objet de plusieurs expositions personnelles et collectives : On ne fait pas ça, Massimo de Carlo Gallery, Milan ; Never-Nevermore, Lovay Fine Arts, Genève ; Renverser la tâche, Galerie Catherine Issert, Saint-Paul-de-Vence ; Transparents, Musée Barbier-Müller, Genève ; Galerie Elisabeth and Klaus Thomas, Innsbruck.Il est représenté par plusieurs galeries, comme : Massimo de Carlo Gallery, David Kordansky Gallery, Almine Rech Gallery, Galerie Mehdi Chouakri.Ses œuvres font partie des collections permanentes de nombreux musées, dont le Centre Pompidou, Paris ; le Museum of Modern Art, New York ; le Long Museum, Shanghai ; le Getty Research Institute, Los Angeles ; le Kunstmuseum Basel ; la Fondation Museion – Musée d’art moderne et contemporain, Bolzano ; et le Moderna Museet, Stockholm.
1 Quatre entretiens avec John Armleder”, “It Never Ends”, It Never Ends, John M Armleder & Guests, éd. Yann Chateigné Tytelman, KANAL – Centre Pompidou et Lenz, Bruxelles, 2024, p. 192
2 Ibid., p. 193
3 Véronique Bacchetta, extrait du communiqué de presse de l’exposition de John Armleder au CGGC/CEC qui a eu lieu du 11 juin au 18 juillet 1992.
4 “Point, virgule, point-virgule”, It Never Ends, John M Armleder & Guests, éd. Yann Chateigné Tytelman, KANAL – Centre Pompidou et Lenz, Bruxelles, 2024, p. 201
5 op.cit. p. 192
6 Extrait d’une citation de John Armleder en exergue de la postface, Yves Goldstein, “It Never Ends (Postface)”, It Never Ends, John M Armleder & Guests, éd. Yann Chateigné Tytelman, KANAL – Centre Pompidou et Lenz, Bruxelles, 2024, p. 212.                                                   

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Du 15 mars au 3 mai 2024

Vernissage, jeudi 14 mars 2024, de 18h à 21h (Nuit des Bains)

Denis Savary

Du 17 mai au 23 août 2024

Vernissage, jeudi 16 mai 2024, de 18h à 21h (Nuit des Bains)